Petite Fée s’arrêta, interdite : le fusain préféré du chemin dans lequel elle aimait vagabonder venait de mettre ses premières feuilles, de couleur magenta, oui, exactement magenta.
- Déjà ! Il est temps d’y aller …
Un équipement un peu plus chaud, sa rune sacrée, et la voilà, en route vers Burgha.
- Bonjour Petite Fée ! Quel bonheur de te revoir !
- Burgha … s’inclina Petite Fée en ceinturant la taille de son ami d’un beau ruban rouge et appuyant sa joue contre son tronc.
- Tu es prête ?
- Évidemment, rien ne m’étonne de toi Burgha, mais tu ne vas quand même pas me dire que tu sais ce que je vais te demander !
Grand éclat de rire du Géant magnifique :
- j’ai quelques longueurs d’avance sur toi, Petite Fée, dit-il avec tendresse à sa jeune amie rougissante. Oui, je sais, tu désires voir Valentin et, rassure-toi, tout est organisé “la-bas”.
Là-bas … quelque part autour du lac Baïkal, terre natale de Burgha et un lieu sacré pour Petite Fée. Ses précédents séjours vivaces dans son cœur, dans son âme, ne suffisaient pas à “boucler la boucle”. Elle avait encore à découvrir, à comprendre avant de prendre la plus importante décision de sa vie.
- En route Petite Fée !
Hé hop, enveloppée des bras de Burgha qui avaient perdu quelques feuilles, elle refit le voyage inoubliable, magique, merveilleux dont elle ne se lasserait jamais. Elle était fière de toutes les marques de respect rendus sur terre par tant de peuples à son ami.
L’étendue splendide du lac Baïkal qui s’ornait sur ses bords de tous les ors possibles était un spectacle qui la nourrissait de beauté, de profondeur, de vie.
Ils arrivèrent, la nuit tombée, accueillis d’une immense feu de bois, feu de joie. Tous les habitants du petit village étaient là, le Lama, le Prêtre et même Babischka avait fait le court déplacement. Les yeux de la vieille sorcière étaient ourlés de larmes qu’elle ne cherchait même pas cacher. Oui, elle était là avec son chat, tout joyeux, ayant compris que, ce soir là, sa maitresse ne le houspillerait pas.
- Je savais que tu reviendrais, Petite Fée, je le savais. Et elle serrait sa “poupée” contre ses oripeaux.
Tous en rond, tous serrés les uns contre les autres, ils partagèrent le repas, sans hâte. Ils avaient tant à se dire, encore et toujours. Ils parlaient, riaient, s’émouvaient et s’épuisaient doucement comme le feu dont il ne restait maintenant plus que des braises. Et ils priaient tous et chacun pour tous et chacun, pour tous ceux que l’on voit et ceux que l’on ne voit pas, ou plus.
- Petite Fée, dit Burgha, ce soir tu dors dans la même yourte que moi. Demain, nous aviserons.
Le lendemain, il faisait frais mais beau, le lac miroitait, brillait, vivait.
- Valentin, dit Burgha, je te confie Petite Fée. Elle est venue spécialement pour toi afin de compléter sa formation. Je sais que tu accompliras cette tâche avec délicatesse et profondeur. C’est peut-être, pour elle, la partie la plus délicate de sa quête personnelle. Elle dormira dans ta yourte . A ce soir …
Valentin, le chaman du village. Valentin qui ne pourrait jamais tout dire, même à Petite Fée mais qui allait la guider avec patience et affection sur le chemin de la connaissance de sa lignée.
- Petite fée, nous partons à la pêche … Le temps est idéal !
Petite Fée ne savait pas grand chose de Valentin qu’elle était venue connaitre mieux, beaucoup mieux.
- A la pêche, Valentin ?
- Mais oui, c’est mon métier, je suis pêcheur ! Nous, les chamans, avons un métier …. Et il lança son filet dans le lac, sans voir le mouvement effectué prestement par Petite Fée avec sa baguette.
Mais, que se passe-t-il ? Il sentait son filet tirer, et il le ramena. Plein ! ça alors ! Il se tourna vers sa compagne qui souriait avec malice.
- Oh, ce n’est rien, dit Petite Fée … alors que Valentin éclatait d’un grand rire.
- Je sais quand même faire quelques petites choses …
Ils voguaient au fil de l’eau, dans une paix impressionnante, en silence. La beauté des lieux était grandiose.
Retour au village, repas frugal et réunion dans la yourte de Valentin pour une soirée qui compterait dans la vie de petite fée…
Valentin prit la parole dans le silence respectueux de son auditoire :
“ C’est tout à ton honneur, jeune amie, de vouloir comprendre qui je suis, quelles sont mes fonctions, mon rôle, et l’histoire de notre lignée. Nous sommes nombreux de par le monde, avec des traditions, des initiations, des pratiques différentes. La route est longue vers la fonction envers laquelle nous avons de grandes responsabilités.
Nous devons avoir vaincu la mort, principalement en guérissant d’une très grave maladie ; c’est l’un des grands signes indiquant que nous allons, que nous pouvons nous engager dans la pratique du chamanisme. Nos fonctions font que nous devons connaitre intimement la mort afin de ne pas la craindre car nous aurons à l’affronter pour sauver certains des habitants dont nous sommes responsables. Nous sommes magiciens, devins et guérisseurs.
En fait, vois-tu, nous sommes des médiateurs entre les êtres humains et les esprits que nous maitrisons. Nous bénéficions de l’aide de notre esprit électeur et de nos esprit auxiliaires.
Pour aller dans ces mondes qui vous sont inaccessibles, certains ont recours à des drogues ; pas les chamans de notre région et notre état extatique est volontaire, aidés de notre tambour.
Nous allons “en haut”, par l’intermédiaire de “l’arbre du monde”, symbolisé ici par ce frère de Burgha qui est au milieu de ma yourte. D’autres de sa famille sont disposés de façon très symbolique et étudiée devant et autour de mon habitation.
Des savants écrivent beaucoup et certains, peut-être, pensent posséder nos secrets. Rien de ce qui est essentiel ne leur est jamais montré ou confié, petite fée, sache-le bien. Quant à nos voyages, “en dessous”, les plus dangereux, aucun étranger n’y assiste.
Notre fonction est épuisante ; rien de ce qui concerne l’âme humaine ne nous est inconnu.”
C’est dans un silence impressionnant que Valentin arrêta de parler. L’assemblée prit congé après avoir remercié le chaman qui se trouva seul avec petite Fée.
Ce que je peux vous dire, c’est qu’il lui expliqua de quoi et comment était fait son tambour. Il lui montra son lourd costume et en lui racontant les détails et leur signification. Ils parlèrent, parlèrent …. Et, parfois, un chant étrange s’élevait dans la nuit. Il m’est interdit de vous en confier davantage.
Le lendemain, petite Fée dormait encore lorsque Burgha vint la chercher pour une magnifique promenade ; ils repassèrent par le bois des Sorcières pour faire une surprise et boire un bon thé en compagnie de Babischka.
Le troisième jour était là, déjà … Ils étaient tous réunis afin de dire au revoir à leurs amis, joyeux de les avoir vus, tristes de leur départ. La vie, quoi. Petite Fée prit congé de chacun avec chaleur et quand elle se retrouva devant Valentin, elle lui dit toute sa reconnaissance et, soudain :
- Valentin, encore une question, s’il te plaît … Existe-t-il des femmes chamanes ?
- Oui, bien sûr, Petite Fée. Elles sont beaucoup moins nombreuses mais tout aussi capables que les hommes chamans. Il y a de nombreuses couleurs mais une seule Lumière …
- Merci Valentin. Et elle mit sa petite main dans celle forte, puissante, énergique de celui qui venait de lui apprendre beaucoup.
Burgha s’assura que Petite Fée était bien installée et, avant de s’envoler pour le trajet de retour, il assura la communauté qu’ils seraient de retour à la fin de l’année. Petite Fée s’endormit sereinement enveloppée des bras de Burgha, bercée par la dernière phrase de Valentin …
Si le sujet vous intéresse :
De la documentation ICI
Le livre :Le chamanisme et les techniques archaïques de l’extase de Mircea Eliade
Venezia donne des informations en commentaire (merci) sur le livre :
“Taïga terre des chamans” de Roberte N. Hamayon (auteur) et Marc Garanger (photos).
A bientôt.
J’ai adoré ce nouvel épisode avec le Chaman….
Ces chamans pour qui j’ai beaucoup de respect pour leur savoir et l’aide qu’ils procurent aux autres….
bises Irène
Irène, merci beaucoup pour ce joli conte de fée.
Les images du lac sont très belles.
La prochaine fois, il faudra que tu nous racontes cette jolie histoire en tableaux de savon à la place des photos, Irène !Merci pour l’histoire et la musique.Bises.
Merci pour ce nouveau volet de ce jolie conte et ce voyage avec Petite Fée.
Bises.
Merci pour cette très belle et très touchante histoire, je l’adore.
Je t’embrasse
Flocréa, bientôt, j’aurai les commentaires imbriqués sur mon blog, cela sera tellement plus facile …
Il y a des choses tristes … De même que l’on organise des voyages pour touristes au Pays Dogon, on organise des visites à des “chamans”, tout étant évidemment faux.
Mais il reste encore pas mal de contrées isolées – une de ma maison m’en parle – où l’on va encore rendre visite au Chaman et au Lama pour les soins. Je n’ai pas inventé cette coexistence. Un jour, j’irai prendre les photos moi même là-bas …
Colchique, si ces modestes récits plaisent, j’en suis très heureuse. Je garde quelques photos en réserve pour la fin qui approche …
Jazz, sur le moment, j’ai cru que j’allais m’étrangler ! Ensuite, j’ai pensé que tu avais une belle idée, tellement poétique.
Cela sera difficile car le prochain épisode sera pour la fin de l’année, période particulièrement chargée pour tout le monde. Mais il ne sera peut-être que l’avant dernier et je ferai au moins un “tableau savon” pour le dernier.
Bonjour Tite Marie, merci !
Coucou Pat !
C’est bien loin des romans policiers que tu affectionnes, quoique, suspense, suspense …
Je t’embrasse
tres joli!
Letis, je suis heureuse de te lire ! Merci
Bonjour Irène, je passe juste pour te dire que c’est une merveilleuse histoire que tu nous conte là. Je passe souvent te lire et toujours je trouve des tas de choses poétiques, magiques, tendres. Merci de ce beau moment.
Irène,
Merci pour ce beau voyage russe.
Connais tu le magnifique livre de photos de Marc Garanger: Taiga, terre des chamanes? Il était sorti il y a quelques années et il y avait eu une très belle expo au Musée de la Chasse à Paris. J’avais longuement discuté avec lui et sa femme, et il avait rencontré des chamans femme (on en voit une si ma mémoire est bonne dans le livre).
En Corée du sud, j’avais rencontré une chaman femme incroyable.
Drian, merci de ton passage et je suis heureuse que certaines personnes aient autant de plaisir à me lire que j’en ai à écrire !
Je te taquinais, Irène !
Venezia, j’ai trouvé un exemplaire du livre dont tu parles et que je ne connaissais pas ; il y en existe d’occasion et peut-être même des neufs. Il faut chercher.
Il n’y a pas de tradition écrite de transmission entre chamans – ou très partiellement et très peu – Il faut seulement espérer qu’il restera toujours des “terres inconnues” … connues de quelques uns (unes) qui pourront les faire perdurer.
Jazz, je sais que tu plaisantais ! Mais ton idée m’a paru ensuite très poétique…
J’ai ce livre quelque part dans ma bibliothèque, il est formidable; Marc Garanger est ce photographe qui pendant la guerre d’Algérie avait photographié de façon saisissante des centaines de femmes arabes (dévoilées).
Voici le lien pour expliquer:
http://www.algeriades.com/news/previews/article1189.html
C’est quelqu’un de bien, et son travail sur la Taiga, passionnant.
Oui c’est vrai, j’ai des idées très poétiques Mais il ne faut pas couper tes beaux tableaux de savon … quitte à se laver avec en entier !
Écoute, sous ce soleil plombant, j’aurai aimé rencontrer celui qui fait venir la pluie bienfaitrice. J’aime ces histoires, ces contes et je ne sais par quelle magie, mais j’y retrouve mes religions.
Castaneda en écrivain imaginatif, m’avait à une époque plongée ou replongée dans ces voies, le chemin des leurres seul point positif, il a donné un lien vivant a toute une génération les “new age” même dévoyé, un jour il trouve le bon chemin.
Tu as l’âme de charité, celle qui souligne aussi la grande souffrance de ces chamans, heureusement en empathie.
J’aime venir chez toi sans aucun doute et des bises, pour cette transe toute douce et ces chemins de connaissance.
Venezia, je remets ton lien car je ne suis pas parvenue à l’ouvrir depuis ton commentaire :
http://www.algeriades.com/news/previews/article1189.htm
A la suite de ce lien, il y a quelques saisissantes photos ici :
http://www.cinematheque.fr/expositions-virtuelles/bruneblonde/item.php?id=4
Et voici le site de Marc Garanger, sur lequel vous trouverez une galerie de ses œuvres:
http://www.marcgaranger.com/client/home.php
Merci encore Princesse …
Bonjour ma parigote. Oui, Castenada s’est trompé, ou plutôt a été trompé. Il y a des chemins dangereux dans lesquels on peut facilement s’égarer.
Ma vie en Afrique m’a bien fait comprendre les limites de la transmission et j’en ai toujours tenu compte, surtout que j’y étais enfant. Et j’ai vu des fourvoiements étonnants …
Oui, les chamans souffrent ; ils souffrent pour le devenir, pour l’être.
La pluie viendra, mon amie, sans doute aucun !
Bises.
Jazz, les savons tableaux que j’ai offert n’ont pas été coupés, je pense. Mais j’ai coupé mon pêcheur de lune moi même pour un partage qui me fait plaisir.